Toute la nuit le ciel s’est vidé dans le lac de Towakado. Le petit déjeuner était d’excellente facture, très varié et copieux comme on les aime. Le Commodore, à son habitude, a ingurgité l’ensemble sans coup férir, avec une technique de baguettes irréprochable et un appétit d’ogre (petit ogre, certes, mais ogre). Ce matin il est un peu ronchon on dirait.
- Ah là là ! j’ai fait un rêve pas mal, cette nuit, mais franchement, j’avais hâte d’en sortir pour vivre ce que nous allons vivre aujourd’hui !
Le Professor et moi-même somme stoïques. Certes la pluie s’est arrêtée… certes, on devrait voir de belles choses aujourd’hui. Certes depuis le début nous sommes dans un rêve éveillé. Certes. Bon oui alors c’est surement ça qu’il a voulu dire, et c’est terriblement vrai. Nos nuits sont ennuyeuses, même dans nos plus beaux rêves, par rapport à nos journées.
L’étape se présente montagneuse. Dès le départ, alors que nous allons quitter les bords du lac, nous nous arrêtons aux côtés d’un policier en pleine discussion avec un jeune cycliste en train de démonter sa tente, sous un abri bus. Il a passé la nuit ici, au « double abris » de sa toile de tente et du toit de l’abri de bus. Il parait très fatigué mais souriant, et explique qu’il effectue le même trajet que nous, mais en sens inverse… on se souhaite bonne route, et nous repartons, direction plein sud.
La grisaille nous accompagne pendant toute la montée du premier col, puis petit à petit s’estompe. Nous traversons de jolis petits villages typiques, de belles cultures fruitières (pêches et pommes essentiellement dont les fruits sont enveloppées sur l’arbre pour les protéger des parasites, suppose-t-on), et de beaux parterres de fleurs.
Après 70 Kilomètres environ, nous parvenons en haut de la vallée dans laquelle nous avons prévu de passer la nuit. Plus on approche de l’hôtel, plus l’odeur de soufre est présente. Dans un virage à droite un bifurque sur la gauche pour entrer, par une forte pente, dans le « complexe hôtelier » de Tamagawa. Les bâtiments qui le constituent sont situés le long d’un cours d’eau chaude descendant du volcan Yakeyama. Ils sont reliés par des passerelles couvertes.
Nous sommes accueillis par 3 personnes qui prennent immédiatement en charge nos vélos, mis à l’abri dans un garage. Deux autres personnes s’occupent de nos sacoches. L’endroit est très particulier. Il s’agit d’un centre de cure unique au Japon, connu en particulier pour l’extrême acidité de ses eaux (on parle d’un PH proche de 1), ainsi que pour la présence sur le site d’une roche radioactive très rare (la hokutolite), connue là-bas pour avoir de nombreux effets positifs sur la santé, y compris dans la prévention et le traitement de certains cancers.
Les chambres ressemblent plus à des « cellules » qu’à de véritables chambres d’hôtel. Confort spartiate, mais des antennes WiFi tous les 5 mètres dans les couloirs. C’est un véritable labyrinthe qui mène à notre chambre… on essayera de ne pas se perdre.
Affaires posées, nous partons découvrir le site extérieur. Par un chemin aménagé le long du ruisseau bouillonnant qui descend du volcan nous parvenons à un large espace minéral, très « mal plat » mais complètement naturel, sur lequel sont disposées quelques bâches tendues sur de solides piquets de bois. Sous ces toiles sont allongés des corps sur de simples nattes, recouverts de couvertures multicolores. Tous sont assez âgés, la plupart les yeux fermés, immobiles et sans mots. Certains sont allongés en dehors de ces tentes, sur les bords du chemin ou plus loin sur le caillou troué de fumerolles. Les trous souffleurs du volcan et les bourrasques de vent rendent l’endroit bruyant, dans les vapeurs soufrées
Spectacle étonnant et hors du temps. Nous traversons cette zone où les curistes restent allongés pendant une trentaine de minute, jusqu’à sentir une fièvre les prendre. Il semble que ce soit l’objectif à atteindre pour avancer dans la guérison de certains maux. Un peu plus loin nous nous arrêtons, surplombant le lieu de quelques dizaines de mètres. La découverte de cet endroit a été pour nous un moment d’intense émotion, puisque sans le chercher vraiment nous avons rencontré une facette inconnue de l’âme Japonaise, un coté à la fois touchant et mystique.
Au retour dans la chambre, on enfile les Yukata (le vêtement de type kimono servant de robe de chambre), et nous prenons la direction des bains chauds. On y accède par l’une des passerelles couvertes traversant la route.
L’intérieur du hangar en bois est magnifique. Séparé en deux (hommes d’un côté, femmes de l’autre) par une immense palissade (sans trous…), on y entre par des portes vitrées, dans une atmosphère complètement vaporeuse et une luminosité très faible. Les bains sont de diverses concentrations en eau du volcan. Celui à 100% d’eau du volcan est annoncé à un PH extrêmement faible (autour de 1.7). Il n’est pas conseillé d’y tremper en premier… d’autres bains sont à 50% ou 70%. On progresse donc vers le PH le plus bas par étapes. Lorsqu’on y plonge enfin (pas la tête, non, juste le corps, nu), toutes nos petites plaies mal placées de cycliste se mettent à picoter. Ce n’est pas très agréable, mais on imagine que ça aide à la cicatrisation…
La vapeur d’eau au-dessus des bains, le calme total, les visages apaisés… les moments passés dans ces lieux sont réellement reposants, reconstituants.
On en sort détendus et prêts à repartir pour un tour.
Après le repas du soir pris à la cantine de l’établissement, un petit compte rendu pour alimenter le blog des moments de cette journée magnifique, et la nuit qui suit se fera d’un seul trait jusqu’au lendemain, jusqu’au prochain rêve.
Tamagawa : Tamagawa Onsen *****
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