Qui a vu l'Ours d'Hokkaïdo ?
Ce matin, 5h, le jour se lève, les copains dorment encore. Je m’extirpe sans bruit de mon futon et je file à pieds vers le port. Je passe le cours d’eau qui se jette à la mer un peu plus loin : quelques pécheurs à la ligne sont déjà là. Ça n’a pas l’air de mordre. Ils se regardent, me regardent, on se regarde mais ça ne fait pas venir le poisson. Une dame d’un certain âge sort en kimono et tongs aux pieds du grand hôtel un peu délabré qui fait face à la mer. Elle me dit bonjour avec un sourire, une cigarette au bec, et attend sans doute que j’installe un début de conversation, mais non… impossible pour moi de sortir autre chose qu’un « owayo gosaïmas » (Bonjour en Japonais), et avec beaucoup de difficultés… l’échange de sourires entre deux personnes ne parlant pas la même langue est un protocole de communication qui, à 5 heures du matin, s’interrompt inévitablement par un regard fuyant et une subite envie d’autre chose… d’ailleurs (là voilà cette autre chose…) une envie pressante me conduit à l’office du tourisme… Partout au-dessus des pissotières, sont disposées des affichettes qui mettent en garde contre la présence de l’ours, très fréquent dans la région du Nord d‘Hokkaido : surtout ne les nourrissez pas, en cas de rencontre fortuite reculez lentement sans affoler le plantigrade… tout ça n’est pas des plus rassurant. Je file quand même le long du ruisseau vers le haut de la colline d’en face, histoire de prendre l’air un peu plus… inquiet tout de même. On peut presque dire que je suis sur mes gardes… Un petit kilomètre et demi-tour. Il doit être bientôt 7 heures, les copains vont se réveiller, on file au petit déjeuner.
Composé de Riz, soupe, poisson cru ou cuit, et autres condiments, viande, Soja, le petit déjeuner est copieux et c’est tant mieux car la route sera longue jusqu’à Nakashibetus.
Sans oublier de faire réserver notre hôtel du soir par la charmante propriétaire des lieux, nous voilà partis sur la route du Shiretoko pass. Ce col situé dans la péninsule du Shiretoko -un des parcs Nationaux du Japon- qu’il nous faudra gravir depuis le niveau de la mer, culmine à 738m.
Directement dans la côte pour 14km d’ascension, l’échauffement est inexistant mais le soleil chauffe rapidement l’ambiance. Quelques jeunes apprentis cyclistes nous doublent, puis s’arrêtent au bord de la route, puis nous redoublent pour finalement coincer à mi pente, au centre touristique consacré à l’Ours, au bord de la route. Nous nous y arrêtons aussi pour une petite halte rafraîchissante, puis repartons vers le sommet. La route est magnifique. Dans les derniers kilomètres la vue s’ouvre sur la baie et la pointe du Park national immense. En haut nous rejoignons un cyclo-sportif qui a monté le col par l’autre versant. Il nous interroge, nous lui expliquons notre périple, et immédiatement il demande à un passant de nous prendre en photo avec lui. On fait un peu l’attraction en haut du Shiretoko Pass. C’est assez rigolo, et sympa.
En route vers la descente, sur une route en béton strié assez surprenante, mais tellement belle ! Les dégradés de verts d’une forêt dense de Bambous nains et de résineux se superposent aux bleus du ciel et de la mer d’Okhotsk… en face les îles au nom imprononçable, propriétés de la Russie, accrochent quelques nuages blancs. Dans un virage à l’ombre, un peu de neige en contrebas rappelle en cette fin Août, que les hivers ici doivent être particulièrement rigoureux. Aujourd’hui c’est grand beau, un léger vent, un peu de frais, et cette route qui nous vibre.
Shibetsu, un joli nom pour une pause de midi. Non. Les noms de petits bourgs Japonais font rarement rêver. Pour tout dire on a souvent du mal à articuler chaque syllabe… mais bon quand on a faim, on a faim ! Jybe nous dégotte un petit restau de bord de route qui nous fera sans problème une assiette complète composée des aliments traditionnels « poisson, riz, soupe, soja, condiments » pour quelques centaines de Yen, et donc une poignée d’Euros (6 en l’occurrence)…
Nous reprenons la route en direction de notre gîte, sur la « milk road ». C’est ainsi que se nomme cet itinéraire bordé de fermes productrices de lait, donc. Nous traversons aussi de grandes exploitations céréalières et suivons scrupuleusement le GPS de Francis : dans un dédale de routes fraîchement goudronnées, perpendiculaires les unes aux autres et traversant de grands champs, sans aucune pancarte, nous n’avons pas droit à l’erreur, car le soleil se couche rapidement dans le secteur, et ledit GPS n’est plus qu’à 15% de batteries…
Au milieu d’une ligne droite de deux bons kilomètres, des chiens aboient fort, le soleil plonge derrière nous, nos ombres ont disparu à force de s’allonger. Une bâtisse sur la gauche, un peu vieillotte, qui ressemble plus à la petite maison dans la prairie (mais sans la prairie) qu’à un hôtel 3 étoiles.
- Francis à l’arrêt : « c’est là ! »
- Jean Yves, perplexe : « t’es sûr ? »
- Manu, très perplexe… limite dubitatif… : « noooonnnn… ! »
- Francis sûr de lui : « je vous dis que c’est là ! »
Effectivement c’est là. On pose les vélos, au moment où arrive le proprio qui nous dit :
- ああ、あなたはあります!私は反対側にあなたのために探していました!
Littéralement :
- ah vous êtes là ! je vous cherchais de l’autre côté !
NDLR : il n’y aura pas beaucoup de traduction japonaise littérale dans cet ouvrage, mais c’est pour bien vous montrer ce que ça fait d’être face à quelqu’un qui vous parle dans une langue complètement incompréhensible pour vous… heureusement Jean-Yves a compris l’essentiel, et nous pouvons donc nous installer.
On entre dans la petite maison. A gauche se trouve le salon-salle à manger-cuisine. A droite un escalier très raide amène à une unique pièce dortoir sur tatamis, où nous pourrions dormir à 6 ou 7, mais ce soir nous serons 4 : un jeune motard est là, il déploie son futon pour préparer sa nuit.
Le confort est spartiate, le sol assez dur et le futon pas franchement épais. Au plafond, un ventilateur à l’arrêt. On s’installe car la nuit tombe déjà !
Je me rappelle m’être dit en arrivant dans cet escalier que décidément, les Japonais aimaient les marches hautes : la norme européenne de 17 à 21cm pour la hauteur d’une marche était pour le deuxième jour d’affilée largement dépassée… on montait le pied de 30cm au moins à chaque pas, et plus les jours passeraient, plus ce détail ferait mouche dans nos fibres musculaires intensément sollicitées…
Le repas est servi à 18h00 car le programme de la soirée est assez chargé. Le proprio nous sert d’abord, avec les autres convives (le jeune motard qui dort avec nous, ainsi que son copain motard lui aussi et son fils, qui dorment dans une chambre à part) un « chabou-chabou » : il s’agit d’une sorte de « fondue » à l’eau de légumes, soja, champignons, et de viande, coupée en tranches fines et cuite dans le bouillon, à volonté. Le tout est arrosé de bière de Sapporo. Le repas est très sympa. Nous échangeons un peu avec les motards mais ils ne parlent pas anglais, ce qui limite largement les conversations… le patron non plus ne parle pas anglais. Jean-Yves se charge d’à peu près tous les dialogues.
A la fin du repas, le patron nous fait monter dans une camionnette, direction la ville ! Dans le tarif d’environ 30€ par personne sont compris, outre la nuit, le repas et le petit déjeuner, une sortie à l’Onsen municipal ! Nous voilà donc en route pour cette première expérience de bain chaud public, intérieur et extérieur, comme le veut la tradition, nus comme des vers, aux côtés d’une grosse douzaine de gars du coin, évoluant discrètement dans l’eau chaude d’un volcan voisin. L’ambiance est assez irréelle. La vapeur d’eau monte dans l’air du dehors. Nous sommes assis sur de grosses roches posées au fond de l’eau, et comme les autres devisons de l’avenir du monde, ou plutôt de la façon dont nous parviendrons à nous débarrasser des premières petites douleurs aux fesses qui apparaissent depuis ce matin…
Après une bonne heure de bain, notre taxi vient nous chercher et nous rentrons au gîte, détendus et prêts à nous mettre au lit de bonne heure.
L’accueil japonais
Comme l’eau chaude de l’onsen
T’enveloppe, te retient
Nakashibetsu : Un Hôtel sur la Milk-Road
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