Le Commodore, le Professor, le Doctor
Hier soir Jean-Yves a fait le job : le tonton de Miho a réservé, à sa demande, une chambre dans une auberge de jeunesse à Ikeda, pas chère du tout. Ikeda, c’est la « ville du vin » d’Hokkaido, et comme ça fait déjà 5 jours que nous avons pris la dernière gorgée de tanins, issus d’une petite fiole de Bordeaux dans l’avion, ça nous parait-être une étape digne d’intérêt.
En route donc par le bord de mer, vers la belle station viti-vinicole.
Quelques kilomètres plus loin nous voilà face à ce que nous n’attendions pas : une barrière de péage. Infranchissable puisqu’interdite aux vélos. Une seule route mène à Ikeda, c’est cette autoroute. Voilà comment on fait une croix sur la première étape viticole du périple.
Réunion de crise au croisement des voies rapides : Jean-Yves, Francis et moi plongés dans les cartes du GPS, cherchons une nouvelle destination pour la nuit prochaine. Nous prenons la décision de remonter plein nord, direction le lac Akan : la distance est assez courte mais c’est la seule façon d’arriver tôt à destination et d’avoir un peu de temps pour chercher un logement. Le village a l’air assez grand.
Nous repartons donc dans cette nouvelle direction. Cet imprévu ralentira un peu notre progression vers Hakodate, l’extrémité sur d’Hokkaido ou nous devons prendre le ferry dans quelques jours pour rallier l’ile d’Honshu.
L’étape est courte (65km après ce recalcule d’itinéraire) plate, le temps est gris et un peu humide mais pas froid, et nous roulons assez efficacement. Une petite pause ravitaillement s’impose tout de même à mi-chemin, histoire d’ingurgiter un snikkers (notre source de sucres et de graisses saturées « european compatible ») et une banane. Jean-Yves s’arrête devant un abris bus, pose son vélo et part s’installer sur le petit banc qui s’y trouve. Le temps d’y poser une fesse il ressort aussi sec :
- non, non, ne venez pas là c’est infesté de bestioles
Un petit coup d’œil avisé de l’entomologiste autoproclamé du groupe (moi), qui s’écrie :
- oui, oui partons d’ici, c’est un nid de frelons japonais !
NDLR : cette espèce de frelon peut atteindre 5 cm de long et cause la mort d’une quarantaine de personnes chaque année au Japon. Ayant longuement étudié les risques de ce voyage, j’avais lu tout un tas d’articles mettant en garde devant la capacité nuisible de l’animal, et j’encourageais donc mes amis à enfourcher leur bicyclette au plus vite pour fuir l’endroit… ce qu’ils firent tout doucettement, tant il est vrai que eux, les risques du voyage, ils s’en cognaient comme de leur première paire de chaussettes. ☺
Et puis après quelques coups de pédale de plus nous voilà au bord du lac d’Akan… à 90km par la route de notre point de départ, il y a 5 jours, Abashiri. Une vague impression de ne pas avoir avancé nous traverse l’esprit, mais bien vite on se rappelle qu’on n’est pas venus pour battre le record de la traversée d’Hokkaidō, et lorsque l’on découvre le village, magnifique, on se félicite même du crochet.
Akan est un « village musée » dont le centre est construit en bois, et qui présente la culture Aïnou, ce peuple historiquement installé sur l’Ile d’Hokkaido et à l’extrême Est de la Russie. Sur la place centrale où l’ambiance musicale et les totems dressés représentant des ours ou des chouettes font immanquablement penser aux cultures indiennes d’Amérique, on profite de ce début d’après-midi pour flâner entre les boutiques d’artisan et les petits bar-restaurants locaux.
Nous avons trouvé rapidement un petit Ryokan (hôtel typiquement japonais), sur l’avenue commerçante de la ville. Il se trouve à l’étage d’un petit marchand d’objets sculptés en bois, diverses amulettes ou souvenirs locaux. La chambre est très belle, toute en bois, comme la baignoire qui fait office de « mini Onsen » privatisé.
La patronne n’ayant pas de connexion internet et ne semblant pas en mesure de nous aider, nous décidons, pour réserver l’hôtel du lendemain soir, d’aller jusqu’à l’office du tourisme. Il est 17h30 et il nous faut faire vite car à 18 heures on trouvera porte close.
Après une rapide recherche par nos propres moyens (booking.com sur nos mobiles), nous devons nous rendre à l’évidence qu’il n’y a pas un hôtel disponible dans un rayon de 150km autour d’Akan. Nous nous tournons donc vers l’accueil de l’office du tourisme en demandant s’il est possible de nous trouver un hébergement dans la direction sud, à une distance comprise entre 80 et 150km, pour le lendemain soir. L’employé de l’office accepte de nous aider à trouver, et commence ses recherches sur des sites de tourisme Japonais. Il lui faudra passer une bonne douzaine de coups de fils (tous négatifs) avant de trouver, enfin, à 18h passés, un hôtel susceptible de nous héberger à 120km de là, à Shikaoï. Lorsqu’il nous annonce que la chambre est réservée, nous nous levons d’un élan commun les bras vers le ciel et poussons un « Yeesssss » de soulagement. Il fait de même. « On aurait gagné la coupe du monde de football qu’on ne serait pas plus heureux ! ». Sourires, embrassades. Puis Francis demande une précision :
- pourrais-tu, Jean-Yves, demander à ce jeune homme les coordonnées GPS de l’Hôtel afin qu’on soit certains de le retrouver arrivés sur place ?
Trouvant l’idée de ne pas dormir dehors intéressante, j’abonde un peu dans le sens de Francis…
- oui ! s’il peut nous sortir ça, ce sera top…
Jean-Yves ne répond pas tout de suite…
- hein ? (Francis insiste un peu)
Jean-Yves se lève, prend le bout de papier sur lequel sont griffonnés l’adresse et le Numéro de téléphone de l’établissement, le regarde et pointe son index droit dessus :
- l’adresse elle est là. Maintenant, vous avez confiance, ou vous n’avez pas confiance. Soit on se fait confiance, soit on se fait pas confiance ! Je vous dis qu’on trouvera l’hôtel sans coordonnées GPS, et je vous dis que cette personne qui nous a aidé devrait être partie de son travail voilà plus d’une demi-heure, et qu’elle est restée pour nous trouver à tout prix cet hébergement. Je ne veux pas la retenir plus pour ces informations inutiles. Ayez confiance.
Ce soir-là, Jean-Yves est devenu « le Commodore ».
Comme il fallait une rime en « Or » et que ça lui allait comme un gant, Francis est devenu « le Professor ».
D’un commun acc’or, ils me déclaraient « Doctor » [blog].
Et chacun par la suite, joua son rôle.
.
.
Akan : un petit hôtel dans la rue principale d’Akan, au-dessus d’une boutique de souvenirs
Lire la suite : Initiation au Gurufuru